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Couples de plastique | Le désir sans cervelle | Les camps de l'Amor | Visuel © David Noir

Les morts-vivants du désir

Le couple, une affaire d’eunuques

Désir de couple et de chacun : une histoire de liberté et de cage, de sauvagerie et de domestication, de plaisir et de crainte.

Exigence d’un certain désir

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Le couple, formule étudiée du non-désir

Le couple est une affaire d’eunuques. Même quand il est marqué par l’amour, surtout quand il est touché par l’amour, le couple est une affaire de non-désir. Cet amour-là en devient une chose repoussante, particulièrement révoltante. C’est l’amour des gens fidèles ; l’amour de ceux qui renoncent à eux-mêmes. L’amour de ceux qui, de part et d’autre, ont accepté leur sort et finalement baissé la tête. C’est l’amour de ceux qui ne sont plus seuls qu’en secret, à l’intérieur d’eux-mêmes, chacun de son côté, se sentant désormais incapables d’être seuls au grand jour.

Ce sont les morts-vivants de leur propre désir. Leurs nuits tout spécialement, deviennent les lieux d’errance de leurs esprits inquiets ou défaits, réfugiés à l’intérieur d’eux-mêmes.

Pour ce corps qui fait mine de dormir à côté d’un autre, il n’y a plus rien à faire.  Cet autre corps n’est plus accessible.

Les couples qui se vantent de l’être ne font pas cet amour qu’ils chérissent tant, même quand ils le font. Lorsqu’ensemble ou tour à tour chacun des deux a joui, le désir pour autant ne s’est pas incarné. On voudrait bien croire que c’est son propre désir qui dans ces embrassements fougueux de quelques minutes vite écoulées, s’est manifesté. Mais non, ce n’est là qu’un désir commun, sans personnalité, venu satisfaire l’imagerie que toute société veut que chacun de ses sujets ait dans la tête. Ce n’est pas le désir secret de chaque être, libre dans son infinie violence et qui sous cette forme pleine, seul existe.

Et ce n’est certes pas cette misérable chrétienté ni toute autre fadaise religieuse qui est la cause de ce drame intime, du drame des drames en fait. Non, ce n’est pas l’interdit sulfureux qui manquerait à l’excitation de base pour que l’appétit insatiable et véritable soit convoqué une vraie bonne fois ici et maintenant. Ce serait vraiment trop simple s’il en était ainsi. Ce n’est pas une affaire de diable et de bon dieu, malheureusement. C’est une histoire de liberté et de cage, de sauvagerie et de domestication, de plaisir et de crainte. C’est l’histoire qu’à écrite en nous la nature.

Exit également le romanesque superficiel de la culpabilité, du mensonge et de la trahison, du cinéma et des livres. Limiter le désir secret à des intrigues serait rester irrémédiablement à la surface, pensant sonder les relations humaines en scrutant la partie aérienne d’un monumental iceberg.

Désir et secret, le seul couple qui tienne la route

L’intimité de soi à soi est la vaste zone du secret qui voudra ne jamais être connu de quiconque. Impossible pour autrui d’y accéder quand bien même toutes les preuves de son existence seraient dévoilées, mises à nu sous le regard de la terre entière. Cette pseudo vérité du dévoilement des faits n’aboutit qu’à enfouir le secret davantage. Les pièces à conviction, les témoignages s’étiolent et s’évaporent une fois produits à l’air libre. Pour ces raisons, tous les crimes restent impunis et de même, tous les désirs sont cachés. L’insondable réside dans la négation de ce que notre monde voudrait clair et limpide. La boîte de Pandore ouverte, on se rend compte que rien n’en sort ; rien de visible à l’œil nu. Pourtant tout est là, dans ces têtes qui ne parlent qu’à elles-mêmes.

La conscience est bien mieux bâtie, bien plus solide que l’inconscient, si tant est qu’il existe. Et pourquoi donc existerait-il ? La conscience elle, s’en passe. Tout est su, rien n’est ignoré dans le tréfonds d’un être pensant. Nouveau drame : nous savons.

Nous savons toute chose qui compose les méandres de notre esprit, qui en dessine les courbes. Nous n’ignorons rien de ses recoins. L’individu qui pense est un criminel en puissance, car il sait. Et ce qu’il sait, il ne l’avouera jamais à ses semblables. Pourtant ils, elles sont bien justement ses semblables, identiques à lui en tous points. C’est pour cela qu’il ne leur dira rien. Tous et toutes, nous le savons bien. La comédie est alors essentielle, sans laquelle pas de société. Éperdument naïfs ceux qui voudraient la changer. Impossible de séjourner ensemble sans le pouvoir de cette comédie. Il faudrait alors ne rien garder pour soi. On ne passerait plus son temps à s’agiter et à faire, mais à dire. A dire tout, tout le temps, à chaque microseconde, comme une caméra de surveillance se doit de ne rater aucune image du réel que son objectif cadre. Alors nous résumons, nous omettons et ce faisant, nous gardons intact notre être et ses secrets.

Ces fameux secrets sont néanmoins visibles, audibles, partout, tout le temps, sur Internet plus encore qu’ailleurs. Mais ils n’ont pas leur place dans la vie, la vie sociale qui nous unit. Peu importe qu’ils soient révélés ailleurs, juste à côté, sur une page que l’on consulte, dans une confidence osée lors d’un dîner, dans un cercle d’amis. Quoi qu’il en soit, nous n’assistons pas en direct à l’expression impudique de leur essence. Si c’est le cas, à l’instant même la société disparaît. Nous entrons dans la connivence, la beuverie, le crime, la partouze, la folie artistique ; nous nous séparons du monde tel que les sociétés veulent qu’il fonctionne.

Pas d’horloge biologique commune aux désirs de tous

Sitôt l’expression du secret partagé, nous réintégrons l’enveloppe qui nous sied et la société reprend ses droits en lieu et place de la nature. Cela n’aura été qu’une parenthèse. Nous oublions nos compagnons, faisons mine d’à peine les connaître et c’est bien le cas, retrouvons les codes délaissés de la bienséance et du geste d’animal ayant consenti au dressage. Car ce comportement étrange et double, quoi que certains en disent, nous ne le subissons pas. Nous le choisissons totalement. Car comment saurions nous vivre libérés de la contrainte sociale, sous la menace permanente de ceux qui n’auraient pas décidés de vivre au même moment cet instant ? Ceux et celles qui auraient choisi de le décrier plutôt que de s’y joindre. Car si le désir est identique, le temps n’est pas le même pour chacun. Nous ne savons pas lâcher nos chaines à l’unisson. Là pareillement, ce serait trop simple. Il faut qu’il y ait des juges au moment où il y a des coupables. Des juges valides, dressés sur leurs deux jambes, criant et s’époumonant à l’encontre de celles et ceux qui vivent cet instant dans un autre temps. A l’heure dite d’autres instants, ces mêmes juges seront les coupables, à leur tour rampant dans la boue noire de leurs secrets. Et nous qui jouissions pour de vrai et d’autres qui en faisaient autant, les jugeront sévèrement de même. Ainsi va la boucle perpétuelle de la dynamique sociale. Notre apnée dans le monde sauvage ne dure que le temps où nous pouvons en garder une réserve d’air en bouche. Il nous faut fatalement remonter à la superficielle apparence des choses pour inspirer une goulée civile et reprendre pied au bord de l’étang insondable.

Couples de plastique | Le désir sans cervelle | Les camps de l'Amor | Visuel © David Noir
Couples de plastique | Le désir sans cervelle | Les camps de l’Amor | Visuel © David Noir

Pourrait-on faire autrement ? Pourrait-on ne jamais remonter à la surface de nos vies et rester jusqu’à la fin de nos jours hors de portée de l’aboiement social venu hurler à nos oreilles et au sein de la meute où nous aussi, hurlons ? Est-il possible d’être vrai dans le monde que nous fabriquons et qui nous fabrique, sans tomber obligatoirement sous ses coups et dans ses filets ? Sous nos propres coups et dans nos filets ?

Bien sûr, on peut, tel un héros de Sade, devenir intensément criminel. Mais est-il supportable de s’octroyer une si profonde sauvagerie, une barbarie si absolue pour l’être qui se questionne ? N’est-il pas déjà trop fermement engoncé dans ses préjugés moraux pour ne pas simplement risquer de perdre ses forces à vouloir devenir ce qu’il ne peut être facilement et sans effort ? Être librement un monstre ne semble pas si aisément à la portée de tous. On peut évidemment profondément s’en affliger. C’est un constat amer pour l’être civilisé que de se découvrir inapte à affronter son impuissance à vivre libre de toute entrave. L’éducation est l’étouffoir de la violence ; elle est bien là pour ça.

Alors que reste-t-il au malheureux, éduqué et grandi sous la chape d’une éthique du bien commun, pour pouvoir vivre libre et redonner la place qu’ils méritent aux secrets qui, dans l’ombre du polissage de son tempérament animal, sont réduits aux débats intérieurs ?

Le fantasme bien sûr, la création parfois et quelques instants volés à une animalité de passage.

Faut-il pour autant se résoudre à se contenter de ce maigre programme et renoncer à connaître dans sa chair ce que la nature nous intime de vivre chaque minute ?

La violence du dépassement est aujourd’hui ridiculement mise en scène dans quelques secondes orgasmiques d’exploits sportifs ou spectaculaires pour qui peut se le permettre. Pour les autres, c’est une condamnation sans appel à une identification misérable, à travers force cris et vociférations d’encouragements, à celui qui vit ces instants à leur place. Que ceux qui se retrouvent par procuration dans cette planification lamentable de leurs désirs s’en contentent. Tant pis. Pour qui ressent plus d’exigence, il faudra donc aller chercher ailleurs.

Quelle faible intensité de sensations et d’émotions que celle qui parcoure nos vies ordinaires !

Quel désert de plaisirs et de jouissances ! Ne devraient-ils pourtant pas être les produits de tous les instants ?

Un monde parfait entre anonymat et affinités

Pourquoi donc vivons-nous dotés de ce cerveau soi-disant supérieur si ce n’est pas pour, plus facilement que l’animal, atteindre à la félicité ? Le plaisir de la création suffit-il ? La satisfaction intellectuelle seule nous comble-t-elle ? Et nos pauvres jouissances physiques sont-elles à la hauteur de la puissante envie hégémonique qui nous taraude ? Certes pas. L’amour, ce que nous appelons ainsi, ce pauvre pis-aller tricoté de tendresse nous éloigne d’autant de nos pulsions, dans un affadissement abêti par la mollesse. Pire encore est la résultante de l’union sentimentale : du foin pour des vaches encagées dans leur étable, même plus assez libres pour aller voir d’un œil morne encore passer les trains.

En ce cas, si nous ne pouvons être, il nous faut devenir.

Cerveau et humour de qualité supérieure se doivent de faire bander au moins autant qu’une chatte attirante ou qu’un gland décalotté. La pauvreté d’une partouze entre imbéciles ou, pour le dire avec moins de cruauté, entre insuffisants mentaux, fait jaillir au visage le même éjaculat sans rêve que le moment d’amour d’un couple dénué d’une ambition secrète. Une société saurait-elle devenir plus intense qu’une belle, haute et sexuelle solitude ?

« Son cul sentait la merde. Quoi de plus merveilleux ? ». Sade, en moins bien me direz-vous. C’est sûr. Mais la voie, par ce grand homme enjôlé, a été ouverte autrement que par des épicuriens de salon. Cherchons plus loin ; ailleurs que dans la littérature, mais bien plutôt dans la réalité toute crue d’un cul merdeux. Qu’y trouve-t-on que nos plaisirs secrets attendent, intimement partagés par tous, mais non admis sous le ciel du grand jour de la conversation sociale ? De la merde ou du moins le reliquat odorant de son passage ou de sa proximité. En quoi la merde, contre toute attente officiellement admise, nous plaît-elle et peut-être même, nous manque-t-elle ? Qu’elle puisse nous exciter dans certains contextes n’est pas une nouveauté. Ce qui est définitivement moins abordé, c’est pourquoi le désir ou du moins le fantasme extrême est condamné au silence. Forcé de se terrer, cachés dans l’alcôve sale de l’intimité débridée, Pourquoi tient-on furieusement, au prix de notre honte et de notre honneur, à maintenir pareil secret de polichinelle ?  La réponse est vraisemblablement là, coincée quelque part entre les deux figures fondamentales du Général et du Particulier. Entre ces ceux-là, je me demande bien en effet qui nous sommes. Sans doute les malheureux schizophrènes humanimaux, reliquats d’expériences ratées, détritus abandonnés des échecs perpétuels du bon Dr Moreau sur son île.

David Noir

David Noir, performeur, acteur, auteur, metteur en scène, chanteur, plasticien, vidéaste, bricoleur sonore, enseignant... trimbale sa nudité polymorphe et son enfance costumée sous le regard et aux oreilles de qui veut voir et entendre.

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