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"Man power" | Au cœur de mon programme | Visuel © David Noir

Je suis un programme | Je suis mon programme

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Je suis un programme | Je suis une programmation

Ça + ça + ça + ça.

Je ne le décide pas. Je n’en suis pas le maître, juste le conseiller d’orientation. En est-il de même pour tout le monde ? Je l’ignore. Personne ne semble parler de ça.

Tout doit être relié. Tout a une incidence sur tout. J’avance dans mon temps qui n’est pas cet autre temps général, mais qui n’est que l’aspect d’un temps qui est le mien, mon expansion personnelle, ma progression intime.

Micro sillons

Parallèlement, je dois me disperser, disséminer, essaimer. D’un côté, je range, j’accumule, j’évacue, je trie. De l’autre, j’étends mon regard et mon écoute. Je me lance sur de nouveaux chemins, vers d’autres connaissances. Je crée des sillons ; des micro-sillons que sans doute, je suis le seul à pouvoir percevoir. C’est pour cela que dans mon intérieur, aussi bancal ou précaire soit-il, je dois connaître l’emplacement de chaque vis, chaque objet ou fragment que je veux garder et qui ne me sert pour l’instant à rien. C’est cette nomenclature pouvant sembler dérisoire, qui pourtant me révèle une photographie de ce qui fait ma vie actuelle et ce faisant, libère mon esprit, alors disponible à l’essentiel : le trajet à parcourir et les conditions dans lesquelles arpenter la voie.

C’est en fait un processus assez simple dans son concept, de mise en liberté de la conscience. Je ne peux démarrer le travail qu’à partir de cet état ; là où je suis juste à ma place. Il aura donc fallu passer un point d’équilibre. C’est une forme d’économie. Une économie de survie. Chaque espèce animale a la sienne. Une économie juste parce que débarrassée de ses fantasmes de réussite dans tous les domaines, qui ne sont que quelques calques parmi d’autres, tracés sur des modèles pré-dessinés par le monde qui nous accueille, sans se préoccuper de savoir que nous sommes un, unique et indivisible. C’est ainsi que l’on nous éduque en masse, comme on élève des volailles. Il faut du temps et diverses expériences intimes pour atteindre enfin le moment du passage au cap d’équilibre. Mais il ne s’agit là que du point zéro. Nous avons, à ce stade, redressé notre économie de vie établie sur des bases fausses, mais nous n’en sommes qu’au début d’une possible croissance vertueuse. Néanmoins, on peut alors raisonnablement se dire que le travail véritablement propre commence, ce qui ne signifie en aucune manière, que nous n’allons produire que du bénéfice. Il s’est agi simplement d’avoir pu rallier son chemin à soi. Rien ne dit qu’il ne mène pas tout droit dans le mur. Cela est sans importance.

Le bien-être vient de la seule conviction d’arpenter la bonne voie pour soi. Il faut considérer les éventuels succès qui pourraient en découler comme des bonus, sans plus. En ce qui me concerne, j’ai eu la prescience de cette planification il a exactement sept ans (13 au jour où je réédite cet article). Je ne développerai pas pour l’instant ici les détails des routes antérieures qui m’ont finalement mené à ce sentiment forgé dans mes profondeurs, mais d’une certaine façon les méandres de mon site en témoignent. Je trouve juste intéressant de noter qu’il existe, dans les fluctuations de la pensée, des indices qui, sans nécessité de se référer à quoi que ce soit de mystique ou de religieux, sont susceptibles d’éclairer plus distinctement qu’un autre, le paysage à venir.

Ces moments d’enthousiasme éclairant viennent bien sûr se mêler à une myriade d’autres qui, pris pour d’éventuelles bonnes réponses à son questionnement, vont s’avérer être des impasses décourageantes. Tout un chacun connait ce phénomène propre à la vie prise au sens large, du mouvement de la nature elle-même. Beaucoup de ratages et d’abandons pour de rares créations potentiellement viables. Je ne crois naturellement à aucun dieu, ni force obscure ou lumineuse, pas plus qu’à la notion de destin. Je trouve néanmoins qu’il n’est pas totalement dénué d’intérêt dans la description d’un cheminement artistique, de mentionner les forces mystérieuses de l’instinct et combien elles poussent l’individu de l’avant, autant que le fauve vers sa proie ou le saumon vers son lieu de reproduction. Il n’y a en jeu ici à mon avis et c’est ce qui me rend son observation passionnante, exclusivement que l’expression d’une force brute de la nature et rien à aller chercher du côté du psychisme manipulé par un hypothétique inconscient.

La mise en route d’un projet est l’art de faire que « tout recommence ». Une pulsion étrange et vitale de cet ordre préside à l’aube de tout acte créatif. C’est encore bien plus intimement spectaculaire lorsque le re-commencement à l’oeuvre, englobe un pan de vie entier et a pour objet de le faire évoluer d’un cran, peut-être même en le faisant dévier d’un axe rigide qui paraissait illusoirement tenir le tout. Échapper à Sisyphe semble soudainement alors du domaine du possible.

David Noir

David Noir, performeur, acteur, auteur, metteur en scène, chanteur, plasticien, vidéaste, bricoleur sonore, enseignant... trimbale sa nudité polymorphe et son enfance costumée sous le regard et aux oreilles de qui veut voir et entendre.

Cet article a 2 commentaires

  1. Mathieu Huot

    En lisant la première phrase j’ai eu un l’instant l’espoir que tu étais passé, au sens le plus banalement commun au théâtre, programmateur pour un lieu. Suivons ce fil un moment, et voyons ce que le texte raconterait alors du dialogue entre le programmateur (qui n’est pas nécessairement aujourd’hui un créateur) et le créateur aujourd’hui. Imaginons que quelqu’un ait la force de s’extraire des quotidiennes préoccupations de pouvoir (le programmateur gère rarement son argent, mais celui d’un ou plusieurs autres: il doit rendre des comptes, et justifier sa place en se pliant aux discours du pouvoir pour maintenir la puissance des gros lieux, ou pour simplement ne pas disparaître pour les plus petits). Imaginons qu’il donne la priorité, au quotidien, à cette qualité d’écoute de soi. Que dire alors de la chute, de l’évidence qui en découle: le programmateur est un artiste, lui aussi, par l’essence même de sa démarche.

    Je te renvoie (et te recommande vivement sa rencontre, je lui ai d’ailleurs parlé de ton travail) aux critiques de Diane Scott, notamment la nouvelle Revue Incise éditée par le Théâtre-Studio de Vitry-sur-Seine sur la question « Qu’est-ce qu’un lieu? », et son très beau Cahier critique, publié après une résidence en tant que critique sur invitation du Off d’Avignon en 2009 (éd. L’Harmattan, coll. L’Art en Bref). Elle fait une lecture critique explicitement marxiste du monde du théâtre, mis en perspective historique, politique, sociale, dont je ne me lasse pas, page après page. Elle y parle notamment d’une nouvelle ère qui aurait succédé vers la fin des années 1990 à l’ère de la toute-puissance du metteur en scène: l’ère de la toute-puissance du programmateur. Notamment ces supers-programmateurs qui, en lançant des festivals Jeunes Talents, sélectionnent pour d’autres programmateurs (qui accourent dans le public) les spectacles de jeunes compagnies dignes d’être programmés. Mise en compétition des artistes, entérinement d’une organisation pyramidale selon un principe générationnel qui s’auto-justifie, hantise du risque dans la programmation qui pousse les metteurs en scène à fonctionner comme une marque identifiable dont ils sont priés de ne surtout pas changer, prolétarisation de l’artiste: il n’est pas difficile d’observer les ingrédients qui mènent à ce statut étonnant du super-programmateur.
    Je crois bien que dans le meilleur des cas, celui où ils réfléchissent et creusent une démarche personnelle profonde, ces programmateurs (et je pense aussi à la multiplication des appels à projets, qui témoignent d’un glissement de l’initiative créatrice du côté des programmateurs) se considèrent effectivement comme des artistes. Et peut-être que c’est tant mieux: peut-être qu’enfin l’initiative créatrice peut être explicitement partagée, dès le départ d’une création.

    Mais je fais du théâtre, dont le propre par rapport à d’autres arts est la parole, l’oralité, et par extension le dialogue, et c’est bien cela plutôt qui m’inquiète: je ne vois pas beaucoup de dialogue entre metteurs en scène (et pourquoi seulement eux, d’ailleurs, dans une équipe artistique) et programmateurs. Je ne vois que de l’écrit, des appels à projets sur Internet, des dossiers, des dossiers, des piles de dossiers, une certaine hantise de la rencontre, proportionnelle aux moyens à disposition (depuis presque dix ans que je mets en scène, je peux compter sur les doigts d’une seule main les programmateurs que j’ai rencontrés pour mes créations et qui pouvaient me proposer autre chose qu’une co-réalisation), et -ce que Diane Scott déplore et essaie de faire bouger – une pauvreté étonnante du dialogue dans ces rencontres, placées sous le signe de la peur (tout le monde a peur de tout le monde), du politiquement correct, de la langue de bois, bref, de tous les signes d’une conception autoritaire des rapports de pouvoir. (Petite digression sur le mot lui-même de pouvoir: je peux. Le pouvoir désigne donc par définition des moyens et non pas une fin en soi.)
    Mais peut-il en être autrement? Les rapports de pouvoir sont-ils compatibles avec le sens du dialogue, l’envie de se parler, la confiance dans l’oralité? Ou alors, peut-on envisager les rapports entre programmateurs et artistes dans une logique collaborative et non pas d’autorité? Autrement dit, dans l’échange, le partage, l’ouverture?Peut-être que je suis un utopiste naïf. D’aucun mettront ça sur le compte de ma soi-disant jeunesse et inexpérience.
    Peut-être que je garderai cette exigence personnelle dont tu parles, que je sois artiste, metteur en scène, programmateur ou simple troubadour, et que je mettrai mon envie de dialogue en pratique.
    Parfois, j’ai peur de moi-même.
    L’avenir nous le dira.

    1. David Noir

      Je suis en effet très loin d’être en position de programmateur 😉 Pas bien sûr que ce soit dans mes cordes. J’ai peut-être croisé quelques uns de ces « super-programmateur » dont tu parles dans les années 2000. Diane Scott a fait plusieurs résidences à Anis Gras d’après ce que j’ai lu. En effet, ceci nous rapproche autour de certains lieux (elle parle également de frasq à Gentilly). Je partage ce descriptif du pouvoir qui pèse beaucoup ordinairement dans cette balance artistes/programmateurs. C’est vrai qu’en ayant la chance d’être reçu par le Générateur pour y créer dans des conditions rares, je m’épargne encore pour un temps ce contact. Mais tôt ou tard, il faudra y retourner 😉

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