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Connaissance de soi : Rencontrer le N°1 | Le prisonnier | Patrick McGoohan | 1967

Journal des Parques J-18

La connaissance de soi ou Comment rencontrer le N° 1

C’est paradoxalement, arrivé au pied de ma montagne, que je comprends que je peux avoir du pouvoir sur les choses. Il suffit de me redresser et de la gravir.

Frodon mon ami, tiens bon, encore quelques mètres à franchir qui te séparent du but.

Je vais, tambour battant, rattraper mon retard. Le retard d’une vie, mais pas uniquement la mienne, car le sentier que je me mets à emprunter à partir de ce point est celui commun à toutes les vies en quête d’elles-mêmes. Comme au cours de l’étonnant et extraordinaire dénouement de l’ultime épisode du Prisonnier, série devenue culte, réalisée et interprétée par Patrick McGoohan entre 1967 et 68, je compte bien, contre toute attente, arrachant son masque au N°1 lors de l’affrontement final, stupéfait, me rencontrer moi-même.

Qu’y aurait-il d’autre à découvrir, pour chacun.e, après d’incessants combats acharnés et de fuites, toutes aussi nombreuses, pour courir se cacher, ayant échappé au pire, si ce n’est les traits grimaçants de son propre visage, en proie à l’excitation de la bonne farce qui s’est jouée durant toutes ces années ? Nul autre qu’un Nous-mêmes ne peut nous attendre au sommet, bien content de la blague qui nous a fait tant nous démener pour parvenir jusqu’à lui. Jeu de piste fort bien mené, il faut le dire ; chasse à l’homme ou au trésor, rondement concoctée, avec tout le suspense qu’on est en droit d’en attendre. La plaisanterie se révèle savoureuse et juteuse comme une orange bien mûre. Rien d’autre à l’horizon d’une vie que sa propre figure ; mine réjouie, enfiévrée, exténuée, ravinée, émaciée, creusée dans sa chair par les ruissellements des années de conquête. Retour à la case départ sans rien de plus en poche qu’à l’origine, sinon une petite fiole, une ampoule de quelques millilitres à peine, contenant en solution outrancièrement dissoute, quelques grammes de connaissance de soi. C’est suffisant, selon les bons docteurs de l’âme, pour ce qu’on doit en faire et ce qu’il nous reste à vivre, arrivés à ce stade. Toujours est-il qu’il faudra bien s’en contenter. Contempteurs dubitatifs de l’homéopathie, passez votre chemin ou résignez-vous devant la maigre pitance et la solde à peine plus volumineuse, reçues en récompense de ses efforts par le troufion de base. Le gentiment courageux éclaireur parti aux avant-postes sera, si tout va bien, de retour, enrichi de ce qu’il possédait déjà, sa vie sauve, mais désormais glorieuse. Les fiers soldats ne cultivent pas l’amertume. Ils ne se suffisent pas de se contenter d’en avoir vécu les affres et les tourments, ils chantent les louanges de l’aventure qui les a menés jusque là. Je dois dire que de ce point de vue, je les comprends et si je n’aurai pas l’outrecuidance de me comparer à un combattant armé parti risquer sa peau sur les champs de bataille, je partage le sentiment du devoir accompli. On aura fait le job et c’était ce qui comptait avant toute chose. Le temps n’est plus aux états d’âmes, mais déjà aux souvenirs. Alors, reprends ton paquetage et marche droit comme si le sang de la légion coulait soudain dans tes veines. « J’avais un camarade » chantent-ils, à la fois pour ne rien oublier de la perte de ceux qui sont tombés, mais aussi pour se donner le courage de continuer d’avancer vers une mort, dont on ne sait jamais assez qu’elle est inéluctable. Le pas lourd et cadencé suivant la scansion des paroles qu’ils égrènent gravement, d’une voix semblant venue des entrailles de la terre qu’ils foulent, leur cohorte fait vibrer le sol et les ossements fébriles des corps ensevelis qu’il recèle. Notre terre se nourrit des cadavres qui, depuis des millénaires, se fondent en sa surface. Le trésor est là, sous nos pieds. Les morts sont nos assurances sur la vie. Leur famille aux membres innombrables, constitue notre avenir le plus sûr. Sans équivoque, nous nous retrouverons mes frères. Conscients ou pas, quelle importance ?

Nous donnons depuis quelques siècles, un prix à la vie qui finit par en dégrader la valeur du contenu. Il faut survivre à tout, par-dessus tout. Rien d’autre n’a d’importance. Et pourtant !

Moi-même, peureux d’entre les peureux, je crée timidement des spectacles dans l’espoir forcené que quelque chose, un enjeu plus infini encore que la trouille dont on m’a mollement modelé, prenne le dessus et m’apparaisse enfin comme un guide capable de me mener plus loin que la médiocrité de mon ambition d’être et de rester encore et toujours vivant. Oui, il y a mieux, j’en suis sûr, que cette fade lumière, étoile de la multitude si misérablement brillante, qu’on regarde, les pupilles éternellement vissées à sa pâle lueur, pensant qu’il ne peut y en avoir de plus chaude ni de plus précieuse. Non, la vie n’est pas tout et j’entrevois à la cime de ce pic rocheux qu’il me reste encore à arpenter, que le tapis volant patiemment tissé selon les détournements hasardeux et obliques de son canevas, plus souvent que par la rigueur de nos choix, peut nous porter ailleurs. Si par chance ou par quelques bonnes intuitions, une poignée de fils d’or ont pu y être enchevêtrés – nous ne possédons pas tous.toutes l’art de créer des compositions bien savantes – il est possible que nous nous élancions enfin vers des sommets bien plus hauts encore et peut-être, pour ne plus jamais redescendre. La majeure partie d’une vie peut, dans certain cas, se réduire à ériger un tremplin.

L’important, entend-on dire parfois, davantage que de ne pas rater sa vie est surtout de bien réussir sa mort. Peut-être, mais entre les deux, il me semble qu’il y a place pour un ultime essor vers une aspiration plus haute que la valeur attribuée jusqu’alors au simple fait d’être en vie et de s’y maintenir. Rien de mystique dans ma pensée. Je ne fais référence ici aucunement au religieux, qui décidément, me semble un conte pour enfant guère plus palpitant que la programmation de certains théâtres ; ne revenons pas là-dessus. Non, je parle et j’espère avoir réussi à en exprimer au moins grossièrement les contours, de rendre son existence plus « importante » à ses propres yeux. Je conçois que cela puisse, ainsi exposé, ressembler au pire des paradoxes, puisque d’un côté, souhaitant en finir avec une idée trop inaltérable du vivant surévalué et de l’autre, évoquant un rehaussement de l’importance de l’existence. L’existence aurait-t-elle un sens, détachée de l’idée irréductible de vivre ? Malheureusement, mes balbutiements philosophiques sur un thème, sans nul doute, maintes fois abordé et raisonné par les penseurs de l’antiquité à nos jours, n’iront guère plus loin. J’ai conscience ce faisant, de simplement m’ouvrir une porte par laquelle ne pas aborder la vieillesse dans la seule crainte de la mort. Ce serait somme toute bien inutile.

Je suis aujourd’hui étonné de réaliser combien, étant plus jeune, j’ai dû considérer ma vie comme plus précieuse que moi-même !

Quel sens cela pouvait-il bien avoir ? Aucun. J’ai donc certainement vécu sans réellement m’appartenir. Sans comprendre que j’étais mon propre bien et que j’étais libre, et je dis bien aujourd’hui, m’en apercevant, totalement libre, d’en faire ce que je voulais. Libre à moi d’être un assassin, de tenter d’être président du monde ou de passer ma vie au soleil, sans autre ambition que de couler des jours entiers dédiés à l’insouciance. La question serait : Pourquoi n’ai-je pas suivi selon mon cœur, l’une ou l’autre, ou toutes ensemble, ces trajectoires que la liberté m’offrait de choisir dans l’espace de ses vastes bras ouverts ?

Deux réponses, à mon sens, à cela, mais tellement concrètes dans les influences qui en découlent, que l’on peut dire en effet, que le libre arbitre ne peut qu’être une notion théorique. Primo, le poids des croyances insufflées par l’éducation reçue de mes parents et dont il a fallu un certain temps, pour voir que l’univers ne s’y résume pas, loin s’en faut ; deusio, la simple et banale peur de la mort ; crainte de perdre la vie en l’égarant dans des zones inconnues et incompréhensibles à mes sens ou en prenant des risques trop amples pour mes aptitudes supposées. Rien d’étonnant à cela, n’est-ce pas, puisque nous devons être nombreux.ses – à en juger des vies des un.es et des autres – à n’avoir pas compris instantanément que le temps ne faisait rien à l’affaire.

Brève ou centenaire, une vie n’a réellement de sens que si nous l’avons dotée en guise de pilote automatique, d’une conscience aiguë de l’importance de ce qui la compose, bien davantage que de sa durée potentielle.

Le code d’honneur des chevaliers médiévaux, s’il s’est réellement appliqué, peut nous sembler désuet, c’est néanmoins bien vite mettre le voile sur une conception de la vie la vouant certainement à une moins grande longévité, mais qui reste d’autant plus actuelle qu’elle est porteuse de questions d’un ordre qu’il nous fait mal aux yeux de regarder en face. Je confiais récemment à plusieurs personnes combien j’étais effaré d’entendre, désormais intégré à la liste des formules de politesse usuelles et automatiques lancées à la cantonade chez les commerçants ou entre collègues en début de journée, le fameux « Bon courage !» censé épauler le malheureux ou la malheureuse allant affronter vaillamment sa journée de bureau. Quel foutage de gueule ulcérant ! Moi qui ne m’en trouve guère, j’ai au moins la conscience de la valeur des mots et galvauder ainsi cette qualité rarissime et complexe, comme si on l’emportait le matin sous le bras, en même temps qu’on prend sa baguette, me semble de la plus haute indécence pour les rares d’entre nous qui en font preuve réellement.

Se figurent-ils seulement, ces gens inconséquents qui bradent une expression porteuse d’un sous-entendu si déterminant, ce qu’elle implique, lorsqu’ils lancent de façon tonitruante ou plaintivement – c’est selon – leur formule toute faite, sans davantage d’égard pour la justesse des situations ? Cela en dit long sur l’incohérence perpétuelle et désolante découlant du fossé creusé entre les mots et les actes.

Oui, la crise bien sûr, oui les méchants capitalistes, bien sûr, mais bordel, au moins un peu d’honnêteté intellectuelle si nous ne sommes plus capable de croiser le fer pour nos idéaux, aussi bêtes furent-ils. L’époque moderne nous a certainement fait gagner en réflexion par rapport aux boucheries qu’ont été les guerres et qu’il n’est pas question de regretter, mais la bravoure des sentiments et des comportements a également sûrement beaucoup perdu au change dans l’acquisition d’un humanisme plus conscient. C’est du moins ce que nous nous plaisons, nous occidentaux, à nous dire, car sommes nous pour autant tellement plus pacifiés quand notre pacifisme nous vient de la terreur de la mort plutôt que du goût d’intensifier la vie ? Je ne suis pour ma part, lâchement belliqueux qu’à travers les mots, mais s’il me reste le temps d’une courte lutte à mener, j’aspire à ce que mon étendard ne confonde pas dans ses symboles, celui de la paix avec celui de la passivité. Les deux verges s’entrechoquant à l’entrée d’une vulve, portées sur mon drapeau, ne revendiquent ni la guerre des sexes, ni le combat des mâles pour posséder une femelle, mais plutôt la personnalisation de ces parties génitales, regardées avec si peu de naturel, pour que, semblant ouvrir la bouche comme des créatures héraldiques, on puisse les imaginer nous rugir à l’esprit :

« Un peu d’audace, un peu d’amour, un peu de désir et que résonnent les chants des pulsions humaines loin des fictions chimériques que nos têtes, emplies de démons ridicules, brodent autour ; les faisant passer pour morbides, de libération des mœurs en régressions perpétuelles, quand elles ne sont que dynamique du mouvement, fruit de la quête d’apprendre enfin à vivre un tant soit peu héroïquement l’instant ».

Trois minutes de sexualité pure en direct, ça n’était pas n’importe quoi,

Auriez-vous voulu me retenir ?

Des centaures et des hydres s’enfilant des colliers de dieux,

Des fanfares mythiques,

Des zobs divins croisant le fer avec des chattes crachant des poisons odieux,

Des fellations brillantes,

Des culs ouverts sur l’infini tout constellé d’anus et de cunnilingus,

Nos chairs à consommer sidérant les rayons de ma grande surface,

Toute garnie, ras la gueule, des peaux blanches yaourt de mes supernovas,

Et pas du sulfureux ringard tu peux me croire !

Je peux sucer ta bite par amitié pure camarade d’un soir,

Car on s’en fout un peu finalement de tout ça !

Sois propre et ça ira ; du moment qu’on chope pas le sida, seulement voilà …

Ma maille s’est filée, ma cotte s’est élargie,

Qui m’aime me saute et me suit et me saute

Et qui veut me chercher me trouve !

Il reste quelques stocks,

Oui mais bientôt fini les soldes !

Au placard les promos ! La rage façonne son tricot.

Je rentre en moi dans mon érection comme une araignée qui n’aura plus d’enfants

Et j’aiguise mon dard en l’espérant mortel,

Va t’en poser ton cul sur un ban de mariage,

Si tu crois que je vais avoir du courage pour toi !

Rien à foutre de tes aspirations,

Rien à foutre de tes espérances,

Tu t’ériges en je ne sais quoi, mais au fond tu veux juste qu’on s’occupe de toi,

Toi toi toi toi !

Pinocchio tout en bois ; tu ne sais rien, que toi !

Comme dans ces jeux à manettes, je suis mort plusieurs fois, crois moi !

Gay mother !

UN CUL RIT | LA TOISON DORT | LES PARQUES D’ATTRACTION © David Noir

David Noir

David Noir, performeur, acteur, auteur, metteur en scène, chanteur, plasticien, vidéaste, bricoleur sonore, enseignant... trimbale sa nudité polymorphe et son enfance costumée sous le regard et aux oreilles de qui veut voir et entendre.

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