Le goût de l'exhibition est un signe de santé mentale

Exhibition sexuelle dans l'espace | Visuel © David Noir
Exhibition sexuelle dans l'espace | Visuel © David Noir

L’exhibition, c’est la base

On ne se montre pas sans désir d’exhibition. Quand quelqu’un arrive sur une scène, ce que voit entrer l’audience depuis la salle, c’est d’abord un corps. C’est incontournable. Une pensée, oui, peut-être, ensuite, mais incarnée dans un corps. C’est cet ancrage qui peut éventuellement rendre sublime, étonnant, fantastique, enthousiasmant, l’envol de cette pensée au-delà de ce corps. A partir de là, tout est affaire de degré. Certains, certaines préféreront tenter de faire oublier ce corps, d’autres ressentiront l’envie de vous le mettre sous le nez. Cette relation, qui doit être prise dans toute l’ambiguïté de son sens : relater, raconter, c’est ce qui déterminera la nature du rapport à l’autre présent à cet instant en face de soi. Celui qui est là pour regarder, voir, entendre, ressentir, réagir, imaginer. Une telle situation, artificiellement provoquée, est évidemment – il n’y a rien de neuf à le dire mais ce n’est pas inutile de le rappeler – une opportunité d’expression pour le désir de part et d’autre. Désir d’être tout simplement là, désir de s’en aller, désir vaguement teinté de sexualité, précipitant soudainement parfois en symptôme hystérique lorsqu’il se trouve véhiculé par un rythme adéquat. Ainsi s’impose l’intime, comme une incarnation désirée, bien ou mal invoquée selon l’habileté du meneur et la réceptivité des regardeurs, mais toujours au cœur de la situation scénique. Intimité et exhibition sont liées par nature.

La divinité « Intime » et le dieu « Exhibition »

On entend par intime ce qui nous est particulièrement personnel et proche, mais aussi ce que nous avons, comme on dit, « entre les jambes », à la jonction des cuisses devrait-on dire. Ces sexes, pourtant rarement affichés dans nos vies quotidiennes hors les rapports dits « intimes », représentent encore très largement une incontournable identité pour chacune et chacun. Que nous soyons déterminés comme femmes, hommes ou d’un autre genre revendiqué, est considéré comme caractère premier de notre vie sociale. C’est ce qui détermine tout ou presque. Juste derrière, reléguée au rang des couleurs de tempéraments se trouve la personnalité. Il peut sembler étrange que l’humanité clamant haut et fort sa supériorité sur le monde animal, ait choisi de se fier à l’apparence comme critère principal pour fonder sa structure sociale, mais là encore, l’enveloppe corporelle reste déterminante et si le monde nous apparait comme une vaste scène, il n’y a pas de raison pour que l’individu, comme l’acteur, ne soit pas d’abord perçu par l’image que renvoie son physique.

Il y a bien sûr comme facteur déterminant de l’organisation sociale et de sa cellule souche, la famille, la fonctionnalité de ces corps. L’un ensemence, l’autre fait pousser. La reproduction sexuée est une forme d’agriculture primitive, fer de lance de l’expansion de nombre d’espèces. Une particularité humaine, pas tout à fait exclusive mais presque aussi indissociable de notre constitution que le rire, est le goût pour l’image, le transfert à travers la représentation, la projection d’idées et d’envies à partir de simulacres. Le corps à travers ses attributs, ses organes et ses membres tient une place prépondérante dans ces phénomènes. Le cinéma classique a consacré le visage par le gros plan, la danse a dressé un autel à la rigueur du mouvement puis à sa dislocation, peinture et sculpture ont focalisé sur la contemplation des formes, le théâtre a mis le corps en action autant qu’il l’a réduit au plus infime support d’une pensée rayonnante. Chemin faisant, avec des allées et venues, parfois à quelques siècles ou décennies de distance, tous ces arts iconographiques sont allés à la rencontre de la nudité, avec pour point de mire ou simple ligne d’horizon quand la censure pouvait sévir, la réalité des sexes.

On pourrait nommer paysage génital, l’image incommensurablement géante, appelée derrière toutes ces tentatives de rapprochement de notre regard vis à vis d’organes finalement si petits proportionnellement à notre physionomie. C’est pourtant ce que l’on cherche à voir et ce que l’on désire « faire voir ». C’est aussi par là que l’on se touche les un.es les autres.

Trajets de l’excitation mentale

Un sexe, pénis ou vagin, vaut pour lui-même en tant qu’objet appétissant ou non. Cette loi n’est valable que pour une image génitale détachée du reste du corps et plus encore à l’exclusion de cette fameuse personnalité qui s’exprime à travers les traits d’un visage et par l’intermédiaire d’une paire d’yeux traduisant la pensée qui l’anime. Dès que l’expressivité complexe du visage entre en jeu, c’est le mouvement inverse qui se produit. La contamination du sentiment que le regard inspire descend depuis la tête jusqu’au sexe jusque-là anonyme, pour le caractériser soudainement de toute la tendresse, l’indifférence ou la répulsion qu’indirectement le cerveau aux manettes de ce corps nous a fait ressentir. C’est là l’amour dans sa traduction corporelle. C’est là l’excitation. Les humains bandent donc pour un regard ou une carte postale, pour le sentiment d’une âme ou pour une image porno, indifféremment, mais pas pour des causes identiques, ni pour les mêmes sujets. Le désarroi peut être grand à devoir faire face un jour au portrait physique de son amant/maîtresse épistolaire ou téléphonique que l’on n’aurait auparavant jamais rencontré.

Le fantasme doit donc être mis tôt ou tard au rancart au profit du réel.

La pornographie est le plus court chemin vers l’être sensible. Elle excite ; elle raconte ce qui est ; ce que nous faisons nous-même dans notre bulle d’intimité ; elle nous met face à ce que nous sommes sans fioritures inutiles. Ne pas lui reconnaître ces qualités est nier aussi stupidement qu’outrageusement la vie qui nous anime. Comment tolérer dès lors la niaiserie bêtifiante qui s’attendrie du visage grimaçant du nourrisson lorsqu’elle s’associe au dégoût circonstanciel d’une pénétration filmée ou en image fixe ?

Qu’attends-tu donc d’une prise de vue de ton propre entrejambe au moment même où tu fabriques ta descendance ?

L’exhibition, qui plus est gratuite, est la plus légitime démarche qui soit en termes de représentation. Pitié, épargnez-nous les justifications qui viseraient à nous dire « Je me permets la nudité, mais il y a de bonnes raisons dramaturgiques à cela. » La pudeur est un pas vers la turpitude.

Le monde avec son cortège de croyances primitives et de violences n’est dans cette pitoyable détresse que parce que l’homme entretient la culture du refus de se regarder lui-même pour ce qu’il est véritablement, à chaque instant.

Décrier l’exhibition sexuelle c’est nier la réalité du coït, la plus banale de nos réalités, au profit d’une illusion de soi, mère de toutes les violences en réaction à la terreur de n’être finalement que « ça ».

Ce ridicule temps d’existence qui est le nôtre au regard de nos désirs, pourrait être doux, simple et foisonnant d’idées ; en d’autres mots, simplement créatif. Pudibonderie, fausseté, honte grotesque, suffisance débile et malveillance maladive en font juste un enfer de médiocrité.