Tyrannie du langage articulé
La cohérence du langage quotidien est aussi un poison pour la poésie
Aliénation des mots au langage
Au fur et à mesure de la croissance de la pensée les mots se lient entre eux
Par cette association structurelle, ils forment rapidement l’environnement cohérent qui va les détourner de leur sens poétique. C’est là, à mes yeux, un des désagréments de la réflexion rationnelle. Il s’agit dès lors de rompre leurs interactions comme on brise des liaisons chimiques ; de les diluer dans une solution acide qui désagrégera l’expression quotidienne ; de rendre libres et flottantes les microparticules de signification qu’ils contiennent. Car il y a finalement peu de signification dans ce trop explicite sens. Il faut qu’il y en ait peu. Pas une absence totale et définitive ; non, pas rien. Mais peu. Une infime quantité de signification donnée au sens. Juste assez pour constituer ce que l’on appelle la trace. La trace est ce qui donne envie de faire et non ce qui reste ultimement après avoir fait. On confond ainsi souvent la trace et la mémoire. La mémoire est morte et muséographique. La trace contient encore assez de vivant pour produire du neuf. C’est la cellule souche de la pensée errante.
L’univers est possiblement né hermaphrodite
La mécanique physique du sens se met alors en marche. Il faut l’observer pour le comprendre. Comprendre qu’il n’y a plus rien à regarder en dessous de la masse du jugement spontané ; ce qu’on prend pour un « avis », un « goût », un trait de la personnalité. Le poids écrasant de la fausse réflexion pertinente, du jugement qu’elle s’octroie sur les choses, terrasse la particule. L’immobilise. Les mots se brisent ainsi aisément au profit d’une histoire. Certains, plus fragiles que d’autres. C’est ainsi qu’on prend le risque de créer du produit sans âme ; du produit de caractère.
« Phrase » et « Langage » sont deux effets pervers de la reproduction sexuée et du scénario social
Le langage usurpant le sens des mots purs en de permanentes associations efficaces, l’enchevêtrement cognitif va dans ce sens lourd et quotidien, qui le fait buter sur le mur de l’impasse rationnelle. Celui-ci s’est érigé de la volonté même de la pensée en train de se construire. Par accumulation d’images mortes, des cellules sans devenir finissent par former la surface cornée d’une peau dure et impénétrable. Une protection de trop ; un talon placé au coude qu’il n’est pourtant jamais besoin de poser sur la table. La phrase alvéolée, constituée en nid d’abeille dont le miel est fait des images du « raisonnement », pollue, à travers une logique étriquée, le monde des échanges intérieurs. Comprendre et se faire comprendre éloigne du souci fondamental de s’auto-suffire.
Inventés pour favoriser les échanges de surface, les langages empêchent de comprendre que la science donnant la clef des origines est celle de la poésie savante et non celle issue du pur rationalisme de la pensée.